Depuis des décennies, le nombre de séparations et de divorces n’a fait qu’augmenter. Pour les parents se pose alors la question du mode de garde des enfants : classique, partagé, exclusif ? Certains pères demandent une garde alternée, d’autres s’investissent modérément. Mais une autre réalité existe : celle des pères absents. Des hommes choisissent de mettre sur pause leur paternité, parfois même de disparaître totalement de la vie de leurs enfants. Et puis ils refont surface. Pourquoi, avec quels regrets et surtout quelles conséquences ? Ces pères absents qui reviennent en quête d’une seconde chance auprès de leurs enfants nous livrent leurs témoignages.
Depuis les années 1970, l’institution de la famille a été bouleversée par la hausse des divorces (45% environ soit près d’un mariage sur deux par an) et des séparations.
Tour d’horizon sur le mode de garde des enfants
Quand un couple à la fois conjugal et parental rompt, la question des enfants se pose tout de suite. Qui aura la garde ? Avec quel parent vont-ils vivre ? Quel arrangement trouver ?
On estime à 4 millions le nombre d’enfants mineurs dont les parents sont séparés.
Si des solutions à l’amiable sont trouvées entre des parents pour que leurs enfants vivent le plus sereinement possible la séparation, ce n’est hélas pas toujours le cas.
Certains parents ne trouvent pas d’accord à ce sujet. Il y a ceux qui se déchirent pour avoir la garde mais aussi le cas où l’un des parents est démissionnaire et ne souhaite pas avoir une garde partagée ou alternée. Malheureusement, cela existe encore souvent.
Le mode de garde dit classique (un des parents, souvent le père, a un droit de visite d’hébergement un weekend sur deux et la moitié des vacances) est encore le plus représenté malgré l’existence de la garde alternée.
4 millions : c’est le nombre d’enfants mineurs dont les parents sont séparés
Le principe de la garde alternée : chaque parent a la garde 50% du temps
En France, depuis le 4 mars 2002, la loi attribue aux deux parents mariés ou ayant reconnu un enfant une autorité parentale conjointe malgré la séparation. Et cette loi instaure le principe de la résidence alternée avec la possibilité d’une cohabitation équitable du ou des enfants avec chacun de ses parents.
Pourtant, cette possibilité de résidence alternée ne concerne pas encore actuellement la majorité de familles. On estime à environ 480 000 soit 12% le nombre d’enfants vivant en résidence alternée entre les deux parents (données INSEE 2020).
Je n’ai jamais demandé la garde alternée de mon fils : témoignage de Sébastien, 40 ans
« Avec la mère de mon premier enfant, la séparation a eu lieu alors que mon fils avait 3 ans. D’un commun accord. Mais pour la garde du petit, je n’ai pas cherché plus qu’une garde classique, je le reconnais. Je n’étais pas un gamin quand il est né, j’avais 28 ans, mais je me sentais incapable de l’élever la moitié du temps. A cette période de ma vie, j’avoue que je me concentrais beaucoup sur moi-même : ma vie professionnelle, les sorties avec les potes et mon nouveau célibat. Et puis notre fils était encore petit, alors il m’a semblé que le laisser avec sa mère était la chose à faire. Solution de facilité, je le comprends et le reconnais avec le recul. »
Parmi les enfants en garde alternée, seuls 4% ont moins de 4 ans. L’âge moyen des enfants qui vivent tour à tout chez leurs deux parents est en effet de 11 ans.
Pourquoi les mères ont encore majoritairement la garde des enfants ?
La justice française est parfois présentée comme arbitraire et favorable aux mères, puisque la garde des enfants leur est massivement confiée. A quoi cela est dû ? Un système patriarcal figé ? Un instinct maternel considéré comme la norme ? Ou une absence de revendications paternelles ?
Le patriarcat a encore la vie dure, et les représentations collectives associées n’échappent pas à la règle en matière de maternité, de paternité et d’éducation. En résumé, les mères seraient plus aptes que les pères à élever les enfants, surtout en bas âge. Rappelons que l’âge moyen des enfants en garde alternée est d’ailleurs de 11 ans ! Si les mères sont parfois avantagées par la justice, on note toutefois de nombreux cas de séparations où les pères ne demandent pas la garde de leurs enfants.
« Pendant des années, je l’ai vu un weekend sur deux et une partie des vacances. Pour moi, cela faisait de moi un père quand même, je ne réalisais pas » poursuit Sébastien. « Mais j’ai refait ma vie quelques années après et aujourd’hui je suis père à nouveau. J’ai eu le déclic en voyant mes deux fils ensemble. Le grand que je n’ai vu grandir qu’en pointillés et le petit qui vit avec moi au quotidien. Mon premier fils a souffert de mon absence, alors que cette garde alternée, sa mère ne s’y est jamais opposée mais que je ne l’ai pas demandée. »
Plus de 86% des enfants de parents séparés vivent en effet chez un seul parent. Et c’est encore en majorité la mère.
Sébastien nous l’avoue : « Mon fils ne comprend pas pourquoi j’ai agi ainsi, il pense que je l’aime moins que son frère. Le pire, c’est que je n’ai pas d’argument valable face à ses questions. J’ai agi par égoïsme à l’époque, par immaturité. Aujourd’hui je veux rattraper le temps perdu même si je sais que c’est impossible. J’ai raté trop de choses par ma faute et je n’ai pas d’excuses. Mon fils me met face à mes responsabilités et mes erreurs, c’est une sacrée leçon de vie. J’espère que mes efforts lui permettront de me pardonner de ne pas l’avoir élevé comme j’aurais dû et pu le faire. »
« Je n’étais pas un gamin quand il est né, j’avais 28 ans, mais je me sentais incapable de l’élever la moitié du temps »
Des pères défaillants ? Des pères absents qui reviennent ?
Ce sujet sensible, presque tabou, celui des enfants, on le ressent prêt à exploser entre « parents solos », dès qu’on en parle en société ou à travers les commentaires sur les réseaux sociaux. Entre les mères et les pères séparés, une guerre sans merci semble parfois se livrer à coup d’expériences personnelles partagées. Mère abusive sur le droit de garde ou vénale courant après une pension alimentaire ; père défaillant ou absent de la vie de ses enfants.
Mais des études ont montré que les hommes ont du mal à faire la part des choses entre l’échec de leur couple et leur paternité. Ils mélangent le tout et cela conduit à une discontinuité voire une rupture dans le lien avec les enfants bien après la rupture amoureuse.
Quand ma femme m’a quitté, j’ai quitté mes enfants : témoignage d’Aymeric, 46 ans
« Mes enfants, je les ai vus au quotidien pendant 12 ans. On avait une famille à 4 avec leur mère, je ne me posais pas de questions à vrai dire. Quand mon couple a commencé à aller mal, j’ai perdu pied, totalement. Je délaissais mes enfants et si je connaissais mes torts, je n’ai pas réussi à sauver mon mariage. C’était trop tard, ma femme m’a quitté. A partir de là, j’ai vu rouge. J’étais en colère tout le temps, je n’ai pas su me remettre en question. Et j’ai fait une énorme erreur, celle d’abandonner mes enfants. Je n’ai pas voulu de garde alternée, j’ai signé pour une garde classique mais j’étais détaché. En fait j’associais trop mes enfants à leur mère. C’était plus fort que moi. Les voir, m’intéresser à eux, alors que je les aimais, c’était comme si elle y gagnait quelque chose, je ne sais pas comment l’expliquer. J’ai agi comme un con, plein de rancune, de colère, et j’ai perdu mes enfants ».
Aymeric est l’exemple même de ce qu’on évoquait avant. De cette difficulté à faire le distinguo entre son divorce et la garde de ses enfants. Malgré sa paternité, ses réactions ont été celles d’un homme avant tout, d’un mari ou ex-mari, mettant à mal le bien-être de ses propres enfants.
« Au fil des mois, les conflits avec mon premier en pleine adolescence se sont amplifiés. Jusqu’à ce qu’il ne veuille plus me voir. Et alors ma fille a eu peur de venir seule. J’étais fautif mais tellement aveuglé par ma colère que j’ai perdu mes enfants. Pendant presque 2 ans. J’ai essayé de renouer, mais ils avaient besoin que je leur demande pardon et que je change. J’ai décidé de me faire aider. D’arrêter de me croire la victime, d’arrêter de ne penser qu’à moi et d’avancer. J’ai compris plein de choses, je sais que j’ai été un mauvais père. La honte et la culpabilité ont cédé la place à ma rage inutile. Aujourd’hui, j’espère beaucoup de cette seconde chance avec mes enfants. On a besoin de temps pour se retrouver, mais je garde confiance et je ferai tout pour ne pas les perdre une nouvelle fois ».
«J’espère que mes efforts lui permettront de me pardonner de ne pas l’avoir élevé comme j’aurais dû et pu le faire»
Ces pères absents qui reviennent : est-il trop tard ?
Cette fragilisation de la relation père-enfant(s) ne date pas d’hier. Depuis les années 1990, des études et des débats ont mis en avant cette figure paternelle abîmée après la séparation : celle du père absent.
Témoignage de Noémie dont le père l’a abandonnée
« Mon père m’a abandonnée alors que j’avais 5 ans » nous explique Noémie, 25 ans aujourd’hui. « Mes parents se sont séparés alors que j’avais 4 ans passés. Ma mère a toujours eu ma garde, mais j’ai vu mon père pendant moins d’un an quelques weekends et les vacances. Un jour, il m’a ramenée chez moi et a dit à ma mère qu’il ne me reprendrait plus. Littéralement. Il n’arrivait pas à s’occuper de moi, il pensait que je serai mieux avec ma mère à plein temps. Pour lui, j’étais une contrainte. Et il n’est pas revenu me chercher, même après avoir refait sa vie, même quand j’étais devenue autonome. »
Ce désengagement des hommes envers leurs enfants en fait des pères défaillants ou absents. Reproche leur est fait de renoncer à assumer un rôle auprès de leurs enfants, laissant ainsi à la mère leur charge entière.
« Il n’a pas laissé le choix à ma mère. Elle et moi avons vécu toutes les deux sans aucune nouvelle de lui pendant 3 ans. J’ai ensuite eu un beau-père, un demi-frère et ma famille, ce sont eux. A mes 18 ans, mon père a fait son grand retour. Tout ce que vous raconte, il me l’a avoué. Si je dois lui reconnaitre une chose, c’est qu’il n’a pas cherché à me mentir. Mais m’abandonner pendant 13 ans ne l’a pas gêné. Il voulait renouer, sans vraiment m’expliquer pourquoi. Je suis allée une fois chez lui, dans sa nouvelle famille. Mais chez lui ce n’est pas chez moi. Et si c’est mon père, il n’est plus ma famille. Mon beau-père m’a élevée comme sa fille. Lui, il m’a rejetée. Alors j’ai essayé mais je me sens mal à l’aise avec lui. 7 ans après, je n’ai pas fermé totalement la porte, mais je n’ai pas de manque et je ne le vois presque jamais. Le pourquoi de son abandon ne me hante plus, même si je n’ai jamais eu de réponse. Car une raison valable, il n’en a aucune à me donner. »
« Aujourd’hui, j’espère beaucoup de cette seconde chance avec mes enfants. On a besoin de temps pour se retrouver, mais je garde confiance et je ferai tout pour ne pas les perdre une nouvelle fois »
Conclusion sur ces pères absents qui reviennent : et leurs enfants dans tout ça ?
Des pères absents de la vie de leurs enfants, il en existe depuis toujours. Certains ne reviennent jamais. D’autres, dont on parle ici, des pères absents qui reviennent, cherchent à renouer contact et à recréer un lien avec leurs enfants.
On peut parler d’amour paternel remis en question, de regrets, d’immaturité, de peur, d’abandon. Evoquer les raisons de cet éloignement, les comprendre ou pas, leur souhaiter une seconde chance auprès de leurs enfants. Mais ce qui importe plus que tout, ce sont les enfants innocents qui ont subi cette absence malgré eux.
« Mon fils me met face à mes responsabilités et mes erreurs, c’est une sacrée leçon de vie »
Des pères absents qui reviennent et qui demandent pardon, qui tentent d’expliquer ou de se racheter, c’est une bonne chose. Mais ce ne sont pas à ces hommes de décider du bienfondé de leur retour, de décider de la suite. Mais bel et bien à leurs enfants, selon leur âge évidemment.
La plupart auront évidemment beaucoup souffert de cet abandon temporaire mais parfois très long. Certains seront encore en colère ou très tristes. D’autres auront réussi à se détacher. Avec certains, la seconde chance sera facile. Avec d’autres, beaucoup moins voire impossible. Malgré le manque, malgré l’amour, il leur faudra parfois beaucoup de temps. Et ce dont ils auront besoin, c’est d’un véritable pardon, mais surtout de comprendre pourquoi et comment un père, leur papa, a pu les « oublier » pendant si longtemps avant de revenir.
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