Gisèle Halimi : portrait d’une avocate militante et féministe

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Avocate engagée pour les droits humains, militante féministe et politique, Gisèle Halimi a consacré sa vie à mener de grands combats. Elle s’est battue pour la défense de causes fortes, comme la légalisation de l’avortement, la reconnaissance des actes de torture pendant la guerre d’Algérie, l’abolition de la peine de mort et la criminalisation du viol. Ses convictions ont guidé sa carrière, ses choix et son parcours politique. Portrait d’une femme engagée, d’une avocate militante et féministe qui a beaucoup fait pour ses frangines.

Gisèle Halimi : une enfance déjà militante pour le droit des filles

C’est en Tunisie que Gisèle Halimi voit le jour le 27 juillet 1927. D’un père berbère et d’une mère juive, son nom de naissance est Zeiza Gisèle Elise Taïeb. Sa famille est pauvre, et à cette époque, avoir une fille est considéré au mieux comme une complication, au pire comme une catastrophe. Pour certains c’est même une malédiction. La seule solution : la marier vite. Mais Gisèle réussira à s’opposer à un mariage arrangé par ses parents à 15 ans.

Dès son plus jeune âge, Gisèle est rebelle, en rébellion contre ce qu’elle considère comme de l’injustice. D’ailleurs, elle fait une grève de la faim, à 13 ans, pour ne plus servir ses frères. Ses parents capitulent.

Passionnée de littérature, elle dévore des lectures dites interdites qui lui montrent une autre voie que celle de mère au foyer. Elle voit dans la condition de sa mère, une femme traditionnelle qui ne “l’a jamais aimée”, un symptôme de l’oppression des femmes. Elle a en effet un lien douloureux avec sa mère. Gisèle ne veut pas de ce modèle féminin ni familial et elle sera très vite rebelle, par ses lectures mais pas seulement.

« Je crois qu’il faut un minimum de liberté pour aimer. Et ma mère, en définitive, je crois qu’elle n’a aimé qu’une personne au monde et c’est mon père. (…) Elle l’aimait parce que ça a été son seul horizon pendant cinquante ans.« 

Gisèle Halimi en 1999, France 2

Un drame va être l’élément déclencheur dans son choix de carrière. Son petit frère meurt brûlé, sa mère lui reprochera toute sa vie cet accident. Elle n’a que 10 ans, elle sait déjà qu’elle sera avocate, elle a déjà choisi de défendre, de faire tomber l’injustice.

je commençais en tant que victime

Gisèle Halimi

Son émancipation avec ses études à Paris

Elle convainc ses parents de continuer ses études. Boursière, ils n’ont rien à payer, sinon, ils auraient refusé. Elle déjoue le destin prévu pour elle : elle réussit son baccalauréat et part à Paris à 16 ans poursuivre ses études.

Licenciée en droit et en philosophie, élève de Sciences-Po, elle s’inscrit au barreau de Tunis en 1949 et défend des syndicalistes et des indépendantistes tunisiens.

Puis à Paris en 1956 et en Algérie, elle devient avocate des militants du Front de libération nationale (FLN). Elle dénonce l’usage de la torture par les militaires français, ce qui lui vaudra d’ailleurs d’être arrêtée.

« L’injustice m’est physiquement intolérable. Toute ma vie peut se résumer à ça. Tout a commencé par l’Arabe qu’on méprise, puis le juif, puis le colonisé, puis la femme ».

Gisèle Halimi

Les deux mariages de Gisèle Halimi

En 1949, à l’âge de 22 ans, elle épouse Paul Halimi, administrateur civil au ministère français de l’Agriculture. Ils divorceront en 1959 mais elle continuera de porter son nom, sous lequel elle s’est fait connaître.

En 1961, elle se remarie avec Claude Faux, urbaniste, intellectuel et secrétaire de Jean-Paul Sartre, dont elle est l’amie et l’avocate. Évoluant dans le même milieu qu’elle, son mari lui consacre sa vie. Elle sera très affectée par son décès en 2017.

Une avocate par vocation, l’humanisme au service de la justice

On la disait radicale, n’était-elle pas plutôt profondément humaniste ? Elle souhaitait être en phase avec son exercice d’avocate et son serment.

« Si je ne suis pas d’accord avec les idées que mon client défend, je ne le défendrai pas »

Ses premières affaires la touchaient intrinsèquement. Franco-tunisienne, elle a vécu la colonisation. Dès le début, elle se sentait indignée par les lois et les règles instaurées. Elle défend les autres comme si elle se défendait elle-même.

Gisèle Halimi casse la distance imposée par les codes classiques des avocats de l’époque.

« Être avocate, pour moi, c’était le moyen de tenter de changer ce que je n’aimais pas dans ce monde : l’injustice, le rapport de force, le mépris des humbles, le mépris des femmes. »

Gisèle Halimi

Pendant huit ans, Gisèle Halimi s’engage dans les luttes anticoloniales et défend donc des indépendantistes tunisiens et algériens.

Quand commence la guerre d’Algérie, c’est une évidence pour elle de militer aux côtés de Sartre et de ceux qui signeront, en septembre 1960, le Manifeste des 121. Cette année-là, elle décide de défendre une jeune Algérienne, Djamila Boupacha, accusée d’avoir posé une bombe et qui a été arrêtée, torturée et violée par des soldats français.Avec l’aide de Simone de Beauvoir, elle lance une campagne médiatique qui aboutira à son amnistie.

Son engagement dans les luttes anticoloniales et féministes est le cœur de sa mission de vie.

Une figure de la lutte pour les droits des femmes

En 1971, elle est la seule avocate à signer le manifeste des « 343 » pour le droit à l’avortement.

Le procès de Bobigny de 1972 : Gisèle Halimi révélée au grand public

En 1972, une affaire médiatique et controversée juge Marie-Claire Chavelier, une adolescente de 17 ans accusée d’avoir avorté illégalement après un viol. Trois ans avant la promulgation de la loi Veil, l’IVG en France est encore un délit.

« Il y a dans le droit à l’avortement pour la femme, une revendication élémentaire et physique de liberté.  »

Gisèle Halimi,1973, ORTF

À l’occasion de ce procès emblématique, le grand public découvre cette femme élégante qui fait citer des personnalités littéraires et scientifiques pour dénoncer un procès d’un autre âge.

Elle obtient la relaxe de la jeune femme et parvient à mobiliser l’opinion, ouvrant la voie à la dépénalisation de l’avortement, et grâce au travail de Simone Veil, début 1975, la loi Veil est promulguée.

Faire reconnaître le viol comme un crime

Pour les féministes, une nouvelle lutte commence alors, demandant que le viol soit reconnu comme un crime.

En 1978, à Aix-en-Provence, elle représente deux jeunes femmes Belges qui ont porté plainte contre trois hommes. Gisèle Halimi est injuriée, menacée mais elle tient bon et les hommes sont condamnés. Deux ans après, la loi du 23 décembre 1980 pénalise pour la première fois le crime de viol et le redéfinit au-delà de la seule relation imposée.

C’est désormais « l’acte de pénétration » qui caractérise le viol. Son action a fait évoluer le droit français : le viol est enfin reconnu comme un crime en France en 1980.

Une femme engagée en politique

En 1967, Gisèle Halimi préside la commission d’enquête du tribunal Russel, sur les crimes de guerre perpétrés par l’armée américaine au Vietnam.

En 1971, elle fonde l’association « Choisir la cause des femmes » aux côtés de Simone de Beauvoir et Jean Rostand. Elle en prendra la présidence à la mort de Simone de Beauvoir en 1986.

Élue députée de l’Isère en 1981, elle poursuit son combat à l’Assemblée, cette fois-ci pour le remboursement de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), finalement voté en 1982. Ses autres combats continuent : elle veut abolir la peine de mort, instaurer la parité en politique et dépénaliser l’homosexualité.

De plus, elle est nommée ambassadrice de la France à l’UNESCO par le conseil constitutionnel, d’avril 1985 à Septembre 1989.

Par la suite, en 1989, elle devient conseillère spéciale de la délégation française à l’Assemblée générale de L’ONU.

En 1994, Gisèle Halimi rejoint Jean-Pierre Chevènement pour les élections européennes, déçue par François Mitterrand. La militante préside la commission politique de l’Observatoire pour la parité, de 1996 à 1998.

En 1995, elle prend la tête, avec l’ancien ministre de la Justice Robert Badinter, du comité français de soutien à Sarah Balabagan, une jeune domestique philippine condamnée à mort aux Émirats arabes unis pour le meurtre de son employeur qui abusait d’elle.

Par la suite, elle interviendra fréquemment contre la fermeture de plusieurs centres d’IVG en région parisienne (2009), pour dénoncer le retour médiatique de Dominique Strauss-Kahn (2011) – après l’abandon par la justice américaine des poursuites pénales le visant dans l’affaire de Sofitel – ou pour défendre la pénalisation des clients de prostituées (2011).

Jusqu’à ses 93 ans, Gisèle Halimi n’a jamais cessé de se battre pour ses idées et ses convictions, pour faire bouger les lignes.

Une femme de lettres

Gisèle Halimi publie avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir le dossier « Djamila Boupacha » en 1962. En 1973, elle publiera « La Cause des femmes ». Elle s’écrit ensuite dans une autobiographie, « Le Lait de l’oranger » en 1988 et la même année, elle s’exprime dans « Avortement, une loi en procès » paru chez Gallimard. « La nouvelle cause des femmes » parue en 1997 est une œuvre exemplaire qui traduit son parcours de militante.

 Au total, elle publiera une quinzaine de livres entre 1988 et 2011, dont le dernier, Histoire d’une passion, à l’âge de 84 ans.

En 2006, elle est élevée au grade d’officier de la légion d’honneur et en 2013, elle est promue Commandeur de la légion d’honneur.

Gisèle Halimi est décédée le 28 juillet 2020 à Paris.

Depuis, des associations féministes réclament sa panthéonisation pour honorer sa mémoire.

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