Leïla Slimani : l’auteure de Chanson douce, romancière de l’émotion

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Leïla Slimani est une écrivaine franco-marocaine connue notamment pour son roman Chanson douce, prix Goncourt 2016. Mais c’est aussi une femme engagée dans la défense des droits des femmes et de la liberté d’expression. L’auteure de plusieurs romans à succès, qui se définit comme une romancière de l’émotion, est connue pour son écriture audacieuse et provocante. Portrait d’une écrivaine contemporaine engagée.

Leïla Slimani : sa vie de Rabat à Paris

Née le 3 octobre 1981 à Rabat, au Maroc, Leïla Slimani a grandi dans une famille francophone avec ses parents et ses deux sœurs. Sa famille est aisée et dite d’expression française. Son père est banquier et haut fonctionnaire. Sa mère est médecin ORL, une des premières femmes à pratiquer une spécialité médicale au Maroc.

Dès son plus jeune âge, Leïla Slimani montre un intérêt pour les mots et la littérature. Elle aime raconter des histoires aux membres de sa famille et à ses amis. ELle passe beaucoup de son temps libre à lire. Ses parents ont encouragé sa passion et l’ont inscrite dans une école réputée qui mettait l’accent sur l’apprentissage des langues et la littérature.

Par la suite, Leïla Slimani obtient son baccalauréat au lycée français Descartes de Rabat. Mais elle souhaite poursuivre ses études en France. Après hypôkhagne (classes préparatoires littéraires) au lycée Fénelon, elle sort diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. 

Après avoir envisagé de devenir comédienne avec un passage par le cours Florent, elle se ravise. Et elle s’oriente finalement vers le journalisme. Elle décide de compléter ses études à l’ESCP Europe pour se former aux médias. Son stage à L’Express confirme son choix et sera déterminant.

Côté vie privée, Leïla Slimani se marie en 2008 et devient mère de deux enfants, un garçon né en 2011 et une fille en 2017.

En 2008, elle décroche un poste à la rédaction de l’hebdomadaire Jeune Afrique où elle reste jusqu’en 2012.

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Tout quitter pour devenir écrivaine

Cette année-là, elle décide de démissionner pour se consacrer à sa passion, l’écriture. Elle peaufine le sujet de son premier roman depuis plusieurs mois et participe à différents ateliers d’écriture.

Pendant ses années universitaires, elle a été exposée à des idées et des concepts qui ont façonné ses perspectives sur des sujets sociétaux, la politique et l’identité culturelle. C’est également à cette époque qu’elle a commencé à se poser des questions sur le rôle des femmes dans la société marocaine. Surtout sur la manière dont leurs voix étaient souvent étouffées.

Ses années à Paris l’exposent à une diversité de cultures et d’idées. Ce qui a enrichi sa compréhension du monde et a nourri son imaginaire littéraire.

« Lorsque je me mets à ma table de travail, je ne suis plus vraiment moi. Je ne suis plus une femme, je ne suis plus marocaine ou française, je ne suis même plus à Paris ni quelque part, je suis affranchie de tout. Quand on s’engage en littérature, on est obligé de s’engager totalement. »

Leïla Slimani, Conversation avec Éric Fottorino, L’Aube – 2018

C’est pendant cette période qu’elle commence à écrire plus sérieusement. Elle travaille comme pigiste pour plusieurs magazines et journaux sur des sujets politiques et sociaux. Elle a également commencé à écrire de courts récits et des essais, explorant des thèmes tels que l’émigration, l’identité et le féminisme.

Le parcours littéraire de l’auteure de Chanson douce

En 2014, Leïla Slimani publie son premier roman, « Dans le jardin de l’ogre » chez Gallimard. C’est un succès critique et commercial. Le roman, qui explore la se*ualité féminine et la dépendance se*uelle, a été salué pour sa prose incisive et sa capacité à remettre en question les normes de la société. Le livre est acclamé par la critique et lui vaut d’être nommé pour le Prix de Flore.

C’est le début d’une carrière littéraire prometteuse. Mais la consécration arrive en 2016 pour son deuxième roman, Chanson douce

Ce thriller psychologique raconte l’histoire tragique d’un nounou qui tue les enfants dont elle s’occupe. Il connaît un immense succès. Il remporte le Grand Prix des Lectrices Elle 2017 mais aussi et surtout le prestigieux Prix Goncourt 2016. Le roman est traduit dans de nombreuses langues. De plus, il est adapté au cinéma en 2019 sous le titre « Une chanson douce », réalisé par Lucie Borleteau.

Ses autres écrits

Depuis, Leïla Slimani a continué à écrire et à publier régulièrement. Son troisième roman, « Le pays des autres » (2019), est une saga familiale. Elle se déroule dans le contexte du colonialisme français au Maroc. Le premier volet, La guerre, la guerre, la guerre, a été bien accueilli par la critique. Cela a élargi encore plus sa renommée internationale.

Mais elle publie aussi des essais plus « intimistes ». On peut citer Le diable est dans les détails en 2016, Simone Veil, mon héroïne en 2017 ou encore Sexe et Mensonges : La Vie sexuelle au Maroc la même année. Pour cette plublication, elle n’a pas eu que des critiques élogieuses, le sujet étant jugé dérangeant par certains…

Son dernier essai est Le parfum des fleurs la nuit dans la série « Ma nuit au musée », récit autobiographique publié en 2021.

En 2022, elle poursuit la fresque familiale démarrée en 2020 avec Le Pays des autres dans Regardez-nous danser. On y retrouve les enfants de la famille Belhadj, dans un Maroc tiraillé entre désir de libertés et rigidité du pouvoir royal, 10 ans après la fin du protectorat. À travers les destins de ces personnages, Leïla Slimani donne à voir un nouveau pan de l’histoire marocaine.

Cette trilogie familiale s’attaque à « l’hypocrisie de la société marocaine ». Roman ambitieux et personnel, il retrace les origines de l’auteure. Et notamment son sentiment d’être étrangère dans une société étriquée, ne laissant aux femmes qu’une petite part de liberté.

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Leïla Slimani : une romancière de l’émotion

L’écriture, c’est un moyen pour l’auteure qu’elle est d’exprimer ce qu’elle perçoit, ce qu’elle ressent. Elle a toujours eu l’impression de vivre les choses plus intensément, et que la vie ne lui renvoyait que des visages impassibles ou indifférents. Par sa plume, elle veut exprimer la richesse des émotions et la complexité des sentiments bruts.

« C'est pour ça que je suis devenue écrivain, parce que la réalité ne me suffisait pas, en tant qu'individu, à vivre simplement la vie telle qu'elle est. Moi, j'avais l'impression de ressentir des choses extraordinaires, d'être traversée par des émotions absolument immenses et je voyais autour de moi des formes d'indifférence des autres, de mollesse, de tiédeur et j'avais envie, tout le temps, de prendre les gens au collet, de les secouer, de leur dire "Tu ne te rends pas compte comme tout ça est extraordinaire ; ou à quel point je suis triste, atrocement triste". Et donc, la littérature était le seul endroit où je pouvais trouver une réalité à la hauteur des sentiments que j'éprouvais. »

On reconnaît à Leïla Slimani un réel talent pour décortiquer l’ambiguïté des sentiments. Elle se définit elle-même comme une « une romancière de l’émotion ».

« J'écris à partir des émotions. Ce qui ne m'empêche pas, quand je commence un roman, d'être toujours d'abord guidée par une idée (…) Je crois que les émotions les plus présentes dans mes livres, ce sont sans doute la honte ou la gêne, le désir, entravé, caché, qui vous dévore mais qui en même temps vous fait honte, ou vous met dans une position compliquée vis-à-vis de la société. Il n'y a pas tellement d'amour dans mes livres, peu de sentiments amoureux, au sens classique du terme. L'émotion qui prédomine, c'est la peur. »

Elle met la peur au centre de ses romans, car c’est une émotion qu’elle connait et qui la fascine.

« J’ai été, très jeune, saisie par des sentiments de terreur, de panique. Je suis quelqu’un qui connait des moments de peur où rien ne peut me raisonner, rien ne peut me calmer. J’ai peur la nuit, j’ai peur de la rue, du bruit des pas derrière moi, des gens inconnus que je peux croiser, d’une situation qui peut dégénérer. »

Cette peur est devenue un objet de fascination. En écrivant, elle tente de la comprendre, elle la décortique, l’analyse. Ses livres sont, quelque part, une manière de tendre la main à ses lecteurs et de leur dire : « S’il vous plait, dîtes-moi aussi que vous avez peur ».

Sa plume au service de ses engagements

Leïla Slimani est également engagée dans la défense des droits des femmes et de la liberté d’expression. Elle n’hésite pas à aborder des sujets tabous dans ses romans, tels que la se*ualité, la maternité et les violences faites aux femmes. Son écriture est souvent considérée comme audacieuse et percutante.

Militante engagée, elle utilise sa notoriété pour sensibiliser les gens aux questions sociales et politiques qui l’intéressent. Elle plaide notamment pour les droits des femmes et des immigrés, et défend l’idée que la littérature peut être un outil puissant pour promouvoir la compréhension et l’empathie.

Le 6 novembre 2017, elle est nommée représentante personnelle d’Emmanuel Macron pour la promotion de la francophonie au Conseil permanent de l’Organisation internationale de la francophonie.

« Dès le départ, nous nous sommes mis d’accord avec le président de la République autour de l’idée de transformer l’image de la Francophonie, qui ne se cantonnerait pas à l’aspect institutionnel ou à l’expédition des affaires courantes. Notre vision était celle d’une Francophonie transversale et moderne, qui ne place plus la France au centre et les autres pays à la périphérie, mais traite chacun en égal. La langue française n’est pas figée, elle est parlée sur des territoires très divers, elle se créolise, et c’est ce qui la rend riche. Voilà pourquoi tout le monde doit pouvoir s’en emparer. »

Elle a milité pour la sortie numérique du Dictionnaire des francophones, qui permet de rentrer un mot et d’obtenir son équivalent dans d’autres pays. Des États généraux du livre français se sont déroulés à Tunis, en novembre 2021, pour mettre à plat les questions relatives au mode de distribution des livres francophones. Le but est que le livre circule mieux et coûte moins cher.

Leïla Slimani œuvre aussi pour des actes de reconnaissance en lien avec la francophonie. Elle se félicite ainsi de la restitution d’œuvres d’art à des pays africains et des commémorations des soldats africains qui se sont battus pendant la Première Guerre mondiale.

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Leïla Slimani, féminisme et double nationalité

Ce travail pour la francophonie est en lien direct avec ses sujets de prédilection. Le féminisme, le colonialisme, la double nationalité, dont elle parle dans ses livres.

En effet, elle n’hésite pas dans ses romans, ses essais et ses articles à aborder ces sujets polémiques. Et cela, tout en revendiquant sa double nationalité marocaine et française, qu’elle considère comme « une vraie double appartenance ».

En plus de son travail d’écrivaine, elle est également membre du jury du Prix de la langue française et du Prix du livre Inter. Elle est régulièrement invitée à donner des conférences et à participer à des débats. Toujours sur des sujets liés à la littérature et à l’engagement social.

Elle a été nommée Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en France et sélectionnée comme membre de l’Académie Goncourt.

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